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MOT DE LA PRÉSIDENCE


Par le Dr Éric Poulin, optométriste et président


 

Mieux repartir

L’Ordre des optométristes lançait dernièrement des travaux visant à identifier non seulement les enjeux de main-d’œuvre en optométrie, mais aussi les pistes de solution permettant d’y faire face.

Faisons-nous face à une rareté ? Pénurie de travailleurs ? Répartition déficiente des effectifs ou absence d’arrimage entre les postes affichés et la main-d’œuvre disponible ?

Peu importe comment on le nomme, l’enjeu de la main-d’œuvre affecte tous les secteurs et toutes les professions. Dans le secteur oculovisuel, c’est l’accessibilité aux soins de qualité partout sur le territoire qui est au centre de nos préoccupations et sera le moteur de nos actions.

Pour attaquer le problème et tenter de le résoudre, il faudra toutefois savoir de quoi on parle. C’est pour cette raison que nous avons collaboré avec l’Ordre des opticiens l’an dernier dans la réalisation d’un sondage mené auprès de nos professionnels respectifs ainsi qu’auprès des employeurs afin d’abord de circonscrire et quantifier les défis de main-d’œuvre qui affectent ou affecteront le secteur. Les données recueillies, par la suite confirmées par d’autres études similaires, indiquent que notre domaine ne fait pas exception à la règle et que des défis nous attendent.

Quelques chiffres

Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques. (Mark Twain) 

Les données et statistiques découlant de sondages ne sont pas toujours fiables pour décrire avec précision une situation, et les extrapolations pour le futur peuvent aisément ressembler à la lecture des feuilles de thé (thédomancie, allez voir)!

Ces données peuvent en revanche nous donner une idée de l’ampleur d’un problème et son évolution probable. Les chiffres ont la tête dure…

Les besoins : 

  • La population du Québec est passée de 6 millions en 1970 à 9 millions en 2024, soit un accroissement d’environ 28 %[1] et elle pourrait atteindre 10,6 millions en 20 71[2] 
  • Selon le scénario de référence des démographes, la population de personnes de 65 ans et plus devrait passer de 1,7 à 2,2 millions d’individus entre 2021 et 2031, pour culminer à 2,6 millions en 2071. La proportion d’aînés dans la population devrait donc atteindre 25 % en 2071, soit une personne sur quatre[3].

Les effectifs : 

  • Il manque actuellement environ 350 optométristes pour répondre au besoin de la population[4]
  • Les optométristes québécois travaillent en moyenne moins d’heures par semaine que par le passé (environ 30 h/sem), voient moins de patients et tendent à prendre leur retraite plus tôt[5]
  • Du côté de nos collègues ophtalmologistes : le plan d’effectifs médicaux (PEM) en spécialité pour les ophtalmologistes est de 305 pour le Québec. 21 postes sont présentement non comblés et rien n’est prévu pour augmenter ce nombre dans le futur[6]

Il y a donc plus de patients, de plus en plus âgés et des effectifs en nombre insuffisant pour les prendre en charge. 
 


[1] Tiré de l'Institut de la statistique du Québec, disponible au lien suivant : https://statistique.quebec.ca/fr/produit/tableau/estimation-de-la-population-du-quebec  
[4] Sondage conjoint de l’Ordre des optométristes et celui des opticiens d’ordonnances sur les besoins de main-d’œuvre auprès des membres  
[5] Données issues du sondage interne de l’Association des bannières, chaînes et indépendants de l'industrie de l'optique du Québec (ABCIOQ)
[6] Ministère de la Santé et des Services sociaux, disponible au lien suivant : https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/documents/prem/medecine-specialisee/toutes-specialites_2024-10-02.pdf

Les dangers

Le problème principal nous concernant est que la population ne puisse recevoir les services qu’elle requiert. L’optométrie est une profession réglementée avec des actes réservés que, pour une large part, seulement nous, à titre d’optométristes, pouvons offrir. Ce n’est pas un libre marché dans lequel il y a toujours la possibilité qu’un acteur comble facilement le besoin si celui-ci est requis. Le privilège d’avoir un champ de pratique et des actes qui nous sont réservés a pour corollaire la responsabilité de fournir les soins à nos concitoyens.

L’autre danger est pour notre profession, comme le dit l’adage, la nature a horreur du vide. Si des besoins aussi importants que ceux qui concernent les yeux et la vision restent non comblés, de nouveaux modèles de soins ou d’offre de services se déploieront sans notre présence, une déprofessionnalisation de certains actes ou soins sera envisagée par les pouvoirs publics et une déréglementation pourrait même être envisagée.

Pistes de solution 

D’abord, le manque d’effectifs en optométrie est davantage un problème de répartition qu’une pénurie en nombre absolu.

Bien sûr, un plus grand nombre de professionnels augmente les chances que certains choisissent d’aller pratiquer dans les régions qui ont les plus grands besoins. L’École d’optométrie de l’Université de Montréal a d’ailleurs augmenté le nombre d’étudiants par cohorte à 56, mais les effets ne se feront sentir qu’à partir de 2030, soit lors de leur graduation dans cinq ans.

Quel est le nombre optimal d’optométristes pour prendre en charge les besoins oculovisuels de la population québécoise et permettre également une meilleure distribution sur le territoire ? 

On peut soutenir qu’à l’instar de la théorie du ruissellement en économie, le trop-plein de professionnels en centre urbain finira par pousser ceux-ci vers les régions et que la solution ne consiste qu’à toujours former un plus grand nombre d’optométristes jusqu’à ce que cela se produise…

Les solutions simples ne règlent toutefois que très rarement les problèmes complexes. C’est pour cette raison que nos efforts, de concert avec les différentes parties prenantes de notre secteur, seront multiples :

  • Admission d’un plus grand nombre d’étudiants provenant des régions.
  • Promotion de l’optométrie dans les cégeps en région pour inciter les demandes d’admission.
  • Délocalisation du campus et/ou des milieux de stage en région pour favoriser la découverte de milieux de vie différents et donner le goût de ce genre de pratique.
  • Contrôle de l’offre des professionnels volants qui ne sont pas enracinés dans le milieu qu’ils desservent afin d’augmenter la rétention dans les régions éloignées.
  • Négociation d’avantages fiscaux pour les cliniques et/ou pour les professionnels de régions désignées afin d’inciter l’installation en région.
  • Évaluation de la possibilité d’honoraires RAMQ différenciés pour les optométristes choisissant de pratiquer où les besoins sont les plus criants.
  • Mise en place de pratique dans des polycliniques de type coop avec différents professionnels pour les endroits dépourvus d’offre de soins oculovisuels[1] 
  • Réflexion sur la possibilité de déléguer des actes à des assistants formés pouvant soutenir le travail du professionnel afin d’augmenter le volume de patients pouvant recevoir des services selon un modèle qui a cours en médecine dentaire ou en pharmacie.

En somme, les enjeux sont multiples, mais les problèmes ne sont jamais insolubles. Nous avons la chance que l’optométrie au Québec évolue en collaboration avec des intervenants mobilisés et engagés afin de réfléchir sur la mise en place de solutions viables et assurer que la population québécoise puisse continuer de recevoir des services oculovisuels de qualité, et ce, partout sur le territoire.

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