Par le Dr Éric Poulin, optométriste et président
Être aux abonnés absents
Autrefois, le fonctionnement du téléphone n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui. Pour obtenir la communication avec son interlocuteur, on devait passer par une opératrice. Lorsque quelqu’un s’absentait, il pouvait le signaler au fournisseur de téléphonie et s’inscrire « aux abonnés absents » pour que l’opératrice n’essaye pas de lui communiquer un appel. C’est de là qu’est née l’expression utilisée depuis le milieu du 20e siècle et qui signifie : indisponible, injoignable, introuvable.
Dans un monde hyperconnecté, nous pouvons dorénavant être rejoints, partout, en tout temps et il faut faire preuve d’ingéniosité et déployer des efforts pour se rendre « aux abonnés absents ».
Si cet état est souhaitable lorsque l’on veut prendre une pause en vacances ou dans ses temps libres, il l’est beaucoup moins lorsqu’il est utilisé dans notre pratique professionnelle.
Se rendre indisponible pour une partie de notre clientèle selon des critères d’âge, de complexité des cas, de besoins particuliers ou de rentabilité est toutefois une autre histoire. Il s’agit alors de profilage et cette pratique est inacceptable lorsqu’utilisée dans cette finalité.
Le profilage : une question d’optimisation ou de discrimination ?
Lorsque nous utilisons le profilage des patients pour maximiser notre efficacité et offrir des services de meilleure qualité, nous prenons en compte des facteurs légitimes tels que les besoins de nos patients, la complexité de leurs cas et la disponibilité de nos ressources.
Nous sommes tous conscients des défis quotidiens que nous rencontrons dans la gestion de nos emplois du temps. L’optimisation des horaires pour voir plus de patients et offrir un service plus efficace est une pratique encouragée et bénéfique pour la population que nous desservons.
Cependant, il est crucial de distinguer entre le profilage des patients dans le but d’améliorer nos services et celui qui vise à discriminer certains patients.
La tentation peut être grande de négliger les patients moins lucratifs ou ceux présentant des cas plus complexes au profit d’une meilleure rentabilité ou d’une plus grande facilité. Sans être répandue pour l’instant, cette situation apporte son lot de plaintes, autant de la part de patients qui vivent des difficultés d’accès aux services que de collègues optométristes surchargés de cas refusés ailleurs.
Vos obligations éthiques et déontologies face aux pressions extérieures
Les pressions pour discriminer les patients proviennent souvent des organisations qui imposent des contraintes financières ou opérationnelles afin d’optimiser leur rentabilité. En tant que professionnels, nous ne pouvons cependant pas nous dédouaner de nos obligations éthiques et déontologiques envers nos patients. Le modus operandi de la clinique où l’on pratique ne peut pas non plus servir d’excuse à une pratique discriminatoire.
Chacun d’entre nous est responsable de la gestion de nos horaires et de la prise en charge de nos patients.
Une responsabilité de tous afin de préserver notre rôle professionnel
Certains optométristes choisissent aussi de sélectionner la clientèle pour ne cibler que les cas moins complexes ou ceux générant des honoraires plus élevés, et ce, au détriment des besoins de la population qu’ils doivent desservir.
Ces pratiques ne sont pas sans conséquence, car en refusant ou en délaissant certains services, nous laissons un vide que d’autres pourraient combler. Les batailles que notre profession a menées pour faire reconnaître nos compétences et pour étendre notre champ de pratique auront été vaines et seront inutiles dans l’avenir si nous ne jouons pas pleinement notre rôle, tant au niveau de la première ligne de soins que des services oculovisuels complets.
La protection du public commence en tout premier lieu par l’accessibilité aux services optométriques et notre ordre professionnel doit en être garant. Nous allons donc redoubler d’attention à l’égard des pratiques de profilage qui restreignent la liberté professionnelle ou qui discriminent les patients sans raison valable. L’objectif est que chaque optométriste se déclare « aux abonnés présents ».