Par le Dr Éric Poulin, optométriste et président


 

Le juste équilible

Au moment d’écrire ces lignes, on nous annonce un automne chaud au Québec. Pas du côté météo, ce qui serait assurément très agréable. Plutôt du côté politique avec les négociations entre le gouvernement et les différentes fédérations médicales. Celles-ci s’annoncent ardues.

D’un côté, l’État québécois dispose de ressources limitées pour rendre les services attendus à la population. Une population lasse des problèmes d’accès et qui a la persistante impression de ne pas en avoir pour son argent. De l’autre, un corps médical qui ne veut pas être tenu responsable de tous les ratés du système et qui ne veut surtout pas être sacrifié pour régler les problèmes qui ne sont pas de son ressort.

Ce n’est évidemment pas mon rôle ou mon intention de prendre position dans ce dossier, mais permettez-moi de faire ressortir divers éléments liés à la rémunération pouvant ou devant nous faire réfléchir pour le futur de notre propre profession. 

Rémunération et accès aux services

De récentes études portent un éclairage particulier sur la question de la rémunération des médecins, dont une qui montre les impacts de la rémunération sur leur pratique et la performance du système de santé au Québec. Encore une fois, pas de parti pris. Remplacez le mot médecin par une autre profession et les mêmes constats peuvent s’appliquer. L’objectif principal de ce projet de recherche est de comprendre de quelle manière et dans quelle mesure les modes de rémunération influencent la pratique médicale et de cerner l’impact de ces facteurs sur la performance du système de santé du Québec. 

Les principaux résultats montrent notamment que: 

  1. Le tarif relatif des actes n’a que peu de lien avec le temps et l’effort demandé ou encore avec la pertinence clinique. Les modèles de rémunération en place sont davantage le résultat de relations de pouvoir et de choix historiques que le produit de décisions éclairées et rationnelles.
  2. Les investissements majeurs pour augmenter le niveau de rémunération des médecins ont été accompagnés d’une baisse de la production de soins.
  3. De manière générale, en raison de leur portrait clinique, des patients sont considérés comme « non rentables » par certains médecins payés à l’acte et ceux-ci vont délibérément essayer de ne pas trop inscrire ce type de patients. Les incitatifs en première ligne ne sont pas la solution pour l’inscription de ces clientèles.

Suite à ces constats, les chercheurs font sept recommandations visant à améliorer le mode de rémunération des médecins en vigueur au Québec, dont les deux suivantes: 

  • La rémunération à l’acte est un mode de rémunération complexe et administrativement lourd qui a des effets indésirables sur la pertinence et la qualité des soins.
  • Pour la composante de rémunération à l’acte, le tarif devrait être une fonction aussi directe que possible du temps et/ou de l’effort demandé.

Des parallèles

Accès aux soins, patients vulnérables, cas complexes, disponibilités des services, pertinence des actes, tarifs en lien avec la complexité, le temps ou les efforts demandés, etc. Beaucoup de questions soulevées et des constats qui pourraient être appliqués mutatis mutandis à plusieurs professions de la santé, incluant l’optométrie.

Bien sûr, la rémunération n’est pas la seule cause de tous les problèmes du système de santé ni la seule solution. Celle-ci peut toutefois dans certaines occasions permettre d’infléchir des tendances ou d’encourager ce qui est nécessaire.

C’est un peu ce que fait la nouvelle entente de service entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et l’Association des optométristes du Québec, ce qui nous en réjouit. Bien sûr, celle-ci prévoit une augmentation de l’enveloppe globale dévolue aux optométristes et ce, tenant compte de l’inflation et des frais d’exploitation grandissants. Plus important, elle consacre et encourage le rôle primordial des optométristes en première ligne et met l’emphase sur les besoins des patients en compensant plus adéquatement le professionnel pour les cas plus lourds ou complexes. C’est, selon notre point de vue, la meilleure approche pour garantir l’accès aux services et éviter le profilage de patients (pour diverses raisons), des problèmes récurrents du système identifiés par l’étude ci-haut mentionnée, mais aussi des défis au sein de notre profession qui font l’objet d’une attention particulière par l’Ordre des optométristes depuis quelques années.

Les ressources n’étant pas infinies, il nous faudra aussi comme profession accepter de canaliser des ressources pour permettre l’existence de pratiques particulières (centre de réadaptation, rééducation visuelle, commotion cérébrale, etc.), pour assurer un accès à tous (réfugiés, autochtones, régions éloignées), et aussi pour supporter nos institutions en rétribuant adéquatement les cliniciens et professeurs de l’École d’optométrie ainsi que tous nos collègues qui s’impliquent auprès des diverses instances de notre profession. Il en va de la santé et de la pérennité de notre profession.

Un juste équilibre entre les besoins de notre profession et l’accès aux soins que nous sommes en mesure de fournir à la population, voilà ce qu’il nous faut atteindre.

juste équilibre